A PROPOS DE REDACTION ...






" A PROPOS D'ELISABËLL S. "






///////////////// PART ONE


En dépit des apparences ... et parce que tout finit toujours par se savoir
Albert Noos n'avait pas toujours rédigé de cette façon ... si particulière

Cela était venu soudain ... une décision en forme de couperet ... définitif
Inscrite là ... dans la matière des pages ... comme une nouvelle signature
La pratique d’une rédaction subitement héritée ... qu’il ne quitterait plus

C'était arrivé comme ça ... il y avait quelques années maintenant
D'un coup ... il s'était mis à tout rédiger comme cela ... en crabe
Il écrivait tout de biais ... il concluait de traviole tout d'un coup
Toutes ses phrases étaient touchées ... comme un brutal cancer
Quelque chose qui ne prévient pas ... parce que ça doit arriver

Et tout ce qu'il écrivait depuis ... et tout ce qu'il pouvait envisager d'écrire
Il l'écrivait en dégradant les finales ... comme s'il biseautait par paquets
Les déclivités linéaires ... les petits plans inclinés des blancs de page
Il enfilait en cascades ... de faux vers tout hérissés de suspensions
Et de suspend en suspend ... cela finissait toujours ... en pointe
Par le travers ... terminé décalé ... et toujours planté de biais

Enfin bref ... vous savez parfaitement de quoi nous parlons
Ses premières pages parlent d'elles mêmes ... et à l'oeil nu
Elles disent combien A-Noos fit sien ... l'Esprit d'escalier

Il s’était mis à écrire ainsi ... il n’y a que peu de temps
Personne ne savait ... ni comment ... ni pourquoi
Il avait sauté le pas sans poser de question

Il s’agissait d’un pas irréversible ... nous semble-t-il aujourd’hui
Un épisode que l’agent Noos ... n’essaya même pas d’expliquer

Cependant ... nos services internes ont noté par la suite ... par la bande
Que cet épisode de bascule ... avait pris corps en un moment très précis
Celui ... où " A-C " avait raconté à Albert Noos ... l’histoire d’Elisabëll S

°°°

Dans le salon orange ( R-824 ) … avec la lumière du jour ... la température a lentement décrue
En un flux ... bruyant ... haché … chaotique … elliptique … déroutant ... mais toujours inédit
" A - C " continue de débiter sans pause ... tout ce dont il croit se souvenir ... à propos de M°

Dans le petit salon qu’ils partagent ... hagard ... A-Noos réceptionne le flux d’infos
Parce que " La Trans’Parente " lui a reconnu les qualités nécessaires ... et suffisantes
Pour comprendre ... défendre et puis transmettre à l’occasion ... la voix et la voie de M°

°°°

Ce soir-là … dans une moiteur un peu crasse
Noos entendait l’histoire de M° ... jeune élève
Et d’Elisabëll Schêmlhā ... sa maîtresse d’antan
Pour la troisième ou quatrième fois ... ce mois-ci

Cette anecdote de peu de reliefs ... et à priori sans intérêt
Ne pris vraiment consistance ... dans l’univers de Noos
Que lors de sa troisième édition ... troisième version

Cette anecdote n’a que très peu d’intérêt
Sinon ... celui de rappeler la date précise
De la conversion rédactionnelle de Noos

Car c’est bien après avoir entendu
Le troisième jet de cette histoire
Que Noos adopta son écriture
De cascade ... en surplombs
Dégradée la taille en biais

Oui ... c’est bien chez-nous ce soir-là
Et faisant suite à cette histoire précise
Qu’Albert Noos ... se mit alors à écrire
Et à rédiger de la façon que vous savez

Oui ... c’est bien chez-nous et ce soir-là ... qu’Albert Noos commença à se faire remarquer
En effectuant ce virage radical ... qui marquerait à jamais l’aspect de ses rapports d’agent
Il s’inventait une illusoire sensation ... celle d’échapper aux formats dits conventionnels
Se prenant pour le défricheur d’une narration écrite ... qui termina de s’enkyster en vol

Oui c’est bien ce soir-là ... et de sa place de petit collecteur/rapporteur de la " Trans’Parence "
Qu’il nous permit de reprendre la main sur le débit d’" A - C " ... qui se serait égaré à jamais
Si cette lubie graphique n’avait relancer son intérêt ... et stimuler les ressorts de sa créativité

Oui c’est bien ce soir-là ... dans le cadre de notre enquête concernant le vol AF 8652
Enquête pour laquelle l’absence de M° ... demeure encore l’unique et l’ultime moteur
Que l’agent Albert Noos prit son ouvrage à coeur ... tout en alourdissant notre lecture

Oui c’est bien chez nous ... et dans la foulée de ces souvenirs scolaires
Que l’agent Noos ... troublé plus que choqué ... affecté plus qu’irrité
Par cette histoire ... de l’élève M° et de sa maîtresse de CE1 / CE2
Se mit soudain à rédiger tout de biais ... à la crabe ... en dégradé
Avec son humeur en dents de si et ses perspectives en biseaux

Oui c’est bien chez nous ... au sein même de la " Trans’Parente "
Dans la pénombre ... orangée et plombée ... du petit salon R-824
Que l’agent A-Noos se mit à tailler en pointe ... tous ses rapports

Il s’était mis à tout rédiger de traviole ... tout en terminales biaisées
Ainsi que vous pouvez le constater avec nous ... ici et maintenant
Tout autour de vous ... tout de biais hormis quelques exceptions

Après avoir entendu cet épisode ... narré une fois de plus par " A-C "
Il s’était mis à écrire tout de traviole ... tout en terminales biaisées
Pour être plus sûr ... ou à peu près ... pensait-il très sérieusement
Que tout ce qu’il écrirait ainsi ... serait alors assurément de lui

( en fait nous verrons par la suite ... que ce ne fut pas le cas )

Relancé désormais par l’intérêt revivifié ... de son rôle d’agent
Dans une enquête ... où il se sent désormais un peu plus acteur
Il s’était mis en tête par ce biais ... d’écrire également pour lui
Avec pour satisfaction originale ... le penchant de sa rédaction

Désormais... tout ce qu’il écrirait serait bien de lui
De lui ... A-Noos ... principal rédacteur des minutes
Issues du témoignage ... et des libres aveux d’" A-C "
Concernant M° ... le toujours présumé Dernier Des Z 
Jusqu’à présent absent ... suite au crash du vol AF 8652
Mais que nous devrions placer bientôt ... sous les verrous

°°°

Vieille comme Erode ... relique en sa mémoire fossilisée
Trop ancienne ... pour prétendre au titre de " Nouvelle "
Cette anecdote ... remise à jour par le donneur " A -C "
Avait bien heurté Albert-Noos ... lors de sa réception

Mais à M°... il avait fallu tout une vie pour se l’entendre dire
Et la moitié d’une autre ... pour accéder à ce micro-souvenir
Pour l’accepter comme ayant été ... à la fois clefs et verrou
D’une porte qu’il ne saurait plus ... ni fermer ... ni oublier

CE1 & CE2 ... M° avait à l’époque entre 7 & 9 ans
A peine un sentier naissant ... à peine une venelle
Qu’Elisabëll Schêmhlã ... alors jeune maîtresse
Essayait par vocation ... d’élargir et d’aplanir


///////////////// PART TWO


Elizabêl Schêmlhā enseignait le français
Le latin peut-être ? ... le grec qui sait ... ?
Le français c’est certain ... ça c’est sûr ... !
En tout cas elle avait été la maîtresse de M°
Et lui s’en souvenait ... comme si ce fut hier

Bien que longtemps déclassée ... refoulée
Il n’avait qu’à clore sagement ... ses yeux
Pour en convoquer une image fort précise

Elle était aussi lumineuse … que fraîche
Lumineuse comme l’intelligence des astres
Fraiche et jolie … pareille aux jeunes femmes
Qui n’ont pas encore l’âge … de leur apparence

Le rosé vraie crevette … aussi bien que le jaune fauve
La pétulance des couleurs … sur l’aplomb du tailleur
Tonique … droite et souple comme la tige des fleurs
De la profession … elle portait très haut les valeurs

L’estrade en bois … sur laquelle madame Schêmlhã oeuvrait
Affichait une hauteur qui mesurait de un tiers … à un quart
De la hauteur totale du bureau … affecté à notre maîtresse
Qui elle mesurait … six à sept fois la hauteur de l’estrade

Une femme petite! ... même installée sur des pointes de pieds
Mais pas une petite femme … trop radieuse pour vivre à l’ombre
Trop brillante pour ne pas briller … rayon solaire à force d’être belle
Couleur miel ... satin caramélisé ... peau de pêche ... et gestes de velours
Taille de guêpe ... et jambes au galbe haut ... si divinement ajustées au reste
Reste ... que M° contemplait ... en silence … comme d’inaccessibles friandises

Un petit mètre cinquante cinq … tendu bien droit sur de hauts talons
Dont la hauteur allait croissant … comme l’expérience avec les années
Et dont le bruit têtu contre l’estrade … venait désigner l’autorité naturelle

Assise sur le coin d’une fesse … un bras aligné jusqu’à l’épaule … à l’angle du bureau
Ou bien de dos … au tableau une craie bleue en main … et sous son chignon sa nuque
Même de dos elle rayonnait ... comme fait le soleil généreux sur la joue des grenades

De saison en saison … elle restait toujours plus jolie
Bien plus belle … que la majorité des journées de M°
Presque deux ans … elle serait la joliesse de ses jours

M° ignorait d’où il tenait son prénom … Elisabëll
Mais plus jamais il ne le relâcherait … Elisabëll
Comme un bijoux porté en secret … Elisabëll

Elisabëll ... peut-être lui était-ce venu ce jour-là?
Où M° avait découvert ... son grand mari d’avocat
Venu lui communiquer quelque affaire d’ordre privé
Quelque soucis familiaux ... peut-être un fils malade?
Peut-être même ... l’avait-il remplacée sur son estrade?
Bref ... M° n’oublierait jamais le prénom de la maîtresse

Jolie … comme un coeur
Fraiche … comme un camée
Et canon … comme un Tanagra

” Toute la beauté … réside au coeur des petites choses ... ”

L’auteur de cette citation reste inconnu … il aura disparu
Mais il y a quelque chose de cet ordre … en ce qu’il dit
Ainsi ... bébés et juvéniles ... de tous genres et espèces
Semblent plus beaux et plus choux ... que leurs aînés

Bien ... revenons à Elisabëll ... dont le prénom nous reste si plaisant
La sensation la plus juste ... que M° puisse mentionner à sont sujet
Était celle que lui procurait la petite " Paille d’Or " ... de chez LU
Quelque chose de rare ... de précieux ... de délicat ... de craquant

Une sensation tiède et lisse … fourrée dans sa coquette robe dorée
Un goût unique sans y toucher ... sans le savoir une odeur musquée
La mèche mordorée ... qui souligne l’éclat d’un regard noir ... et vif
Et cette tension ... des lignes dessinées pour la tenir droite ... et raide
Et cette manière d’apparaître ... et de disparaître sans laisser de trace

Madame Schêmlhã rayonnait ... mais elle n’était que sa fonction
Chez elle tout le reste était secret ... sa personne était inaccessible
Rien ne dépassait ... rien qui puisse nourrir de jeunes imaginations
Jolie ... elle était le joli mystère ... c’était tout et cela serait suffisant

Et M° fasciné ... ne se lassait pas de faire l’objet de cette jolie magie
" Genré mais pubère " ... il recevait donc Elisabëll comme une Elfe
Un personnage de conte de fée ... le génie de l’éducation nationale
Un sacré p’tit bout de femme ... repenserait-il beaucoup plus tard

Une jolie petite femme ... une friandise pour tous les yeux
Avec un rien de recul ... et un formidable anachronisme
Nous verrions l’image d’Elisabëll … pareille à celles
D´une Mireille Darc ... ou d’une Arielle Dombasle
D’une Brigitte Macron ... ou celle d’une Naneh!

Et bien qu’elle semblât moins haute ... que chacune d’elles
Elle était pour M° ... la plus lumineuse de toute ses classes
Et pendant près de deux ans ... il ne regarderai plus qu’elle
Comme on regarderait le Mont-Blanc ... ou le Tage Mahal

Pour le trait et la délicatesse de ses lignes
Mais aussi … pour ce " chic! " dans l’allure
Qui venait souligner … cette solide impression
D’absolue rectitude … et d’indéfectible maintien
De certitudes acquises … et d’incorruptibles vertus

D’âme franche et altière … un pur esprit … immaculé
Et qui ... dans le coeur de M° ... faisait d’elle une icône
Une idole d’école à la fois ... une fée ... une muse aussi
Une alliée de pupitre ... une diva ... très secrète épousée
Poupée de cire / poupée de son ... sa clandestine fiancée

Madame Schêmlhã était jolie ... Elisabëll semblait plutôt jeune
En fait elle était fraîche comme une pêche de vigne ... très jeune
Mais ... M° ne prit conscience de cette jeunesse-là ... que très tard
Et puis l’âge venu ... la cinquantaine révolue ... le poil bien blanchi
M° sût au fil de ses souvenirs qu’Elisabëll était au top de la jeunesse
Avec cette beauté-là qu’affichent les femmes ... après que d’être mère

Pour M° ... Madame Schêmlhã était avant tout ... droite et jolie
Ensuite et avec ça ... elle était très volontaire ... très autoritaire
Elle inspirait un tel respect ... que personne ne l’eut effleurée
Et même si chacun y pensait ... pas un seul ne l’eut touchée

Or le vrai miracle de sa maîtresse raide et radieuse ... dure et jolie
C’est qu’avec elle ... M° se sentait apprendre à l’insu de lui-même
L’intérêt supérieur qu’il lui portait ... le branchait en phase directe
Sur tout ce qu’elle disait ... sur tout ce qu’elle était ou représentait
La fascination qu’elle suscitait ... projetait M° au-delà de lui-même
Et lui! ... plein de cette docilité ... qu’il prenait pour de la discipline
S’imaginait tout d’un coup ... enclin à quelque disposition naturelle
Alors qu’il ne s’agissait-là! ... que d’une fraîche passion pré-pubère

Émoi de gosse ... vague juvénile brisée contre le roc du phare côtier
Espèce d’émotion filiale ... qui pense l’écrin plus beau que le bijou
Et qui fait l’enseignante ... plus captivante que tout enseignement

Si belle Elisabëll ... du haut de son estrade ... perchée sur une position ferme
La mise toujours impeccable ... tailleur & manteau ... un si beau maintien
Qu’elle attirait à elle tous les regards ... tout le mystère ... et les secrets

Ses désirs timorés ... faisaient de M° une éponge marine
Et la jeune passion ... qu’il développait pour sa maîtresse
Lui offrait ... par surcroît de mimétisme et de magnétisme
D’absorber sans aucun effort ... tout ce qui affleurait d’elle

Il buvait ses paroles ... jusqu’à l’ivresse
Toutes les paroles ... et celle qui les proférait
Le liquéfiait littéralement ... le noyait de candeur

Intimidé jusqu’à la dévotion ... fasciné ... saisi
Tel un lapereau ... en arrêt devant ce faisceau
Qui devant l’auto ... perce le noir d’une nuit

Épinglé ... comme un papillon de collection
De loin ... M° fixait Elisabëll du coin de l’oeil
Droite comme une ordonnance elle s'approchait

Inaccessible ... et dans six secondes ... si proche
Comme un point à la ligne ... elle avançait sur lui
Elle foulait le temps ... comme s’il n’était qu’à elle

M° ne pouvais plus ne pas comprendre ce qui arrivait
Même si sur ce coup-là ... il n’avait rien exclu du tout
Et fondait comme on fond au printemps ... mollement

Madame Schêmlhã distribuait ... comme cela se pratiquait alors
En commençant par restituer ... les copies les plus négligeables
Puis elle continuait jusqu’aux meilleures ... le sourire croissant

Elle agrémentait chacune de ses copies
D’un bref commentaire ... personnalisé
Très ciblé ... positivement pédagogique

Et chacun attendait ... que son tour fut venu
Plutôt curieux ... M° attendait de voir sa note
Car cette fois-ci ... il savait y avoir mis du sien
Il savait avoir mis le paquet ... sur cette copie-là

Comme un trophée ... la pile de copies ... sur l’avant-bras
Impeccable chorégraphie ... entre Carmen et Fée Clochette
Pas un geste de trop ... pas une erreur de timbre ... super-pro
M° était ébloui par la performance ... oeil ravi ... coeur conquis
Il eut attendu son tour pendant des siècles ... sans même respirer

°°°

Le temps n’avait rien à abdiquer ... le souffle hésitait à suivre
Sans erreur aucune ... Madame Schêmlhã venait d’attribuer
La totalité ... de sa pile de copies corrigées ... une par une
Un élève ... ! une copie ... ! une élève ... ! une copie ... !

La totalité des copies ... sauf une ... ! celle de M° ... qui tremblait déjà
Celle que lui tendait Madame Schêmlhã ... une ombre sur le sourire
Une proximité un peu plus distante ... une posture presque inédite
Un air de ne pas y être ... l’air d’y respirer mais comme à regret

L’émotion était telle en cette instant ... le suspens saturait l’air tout autour
Le coeur de M° n’entendit pas bien ... le court commentaire d’Elisabëll
Il n’entendit pas non plus le son de la note ... qu’elle livre d’ordinaire

Mais sa raison connaissait formellement ... qu’il n’y en avait pas eu
Et par-delà le flot de l’émotion ... il savait qu’elle n’en avait pas fait
Longtemps M° cherchera en lui ... la réalité de ce non-commentaire

L’absence de mots ... et l’absence de retour ... il s’y était fait
Mais l’absence tout court ... et l’absence d’elle-même ... non
Un minimum d’estime et de considération auraient dû y être

Il ne trouvait pas les mots ... il en perdait le sens ... jusqu’au vertige
Pourtant cet amour qu’il lui portait ... cette admiration ne fléchit pas
Et rien malgré tout ... ne dégraderait jamais la cote de ses sentiments

°°°

Albert Noos commençait de s’endormir ... n’en pouvant plus il peinait
" A-C " pensait qu’il lui faudrait reprendre encore ... encore et encore
Et emporté par l’élan ... il continuait de débiter ce qu’il savait de M°
En mettant tout doucement ... les mots ... les uns derrière les autres
Les hachant menus pour n’en rien omettre ... ni voyelle ni syllabe

" A-C " pensait tout en débitant ... il croyait que ce qui est dit est dit
Pendant que Noos luttait pour rester éveillé ... les mots s’empilaient
Et lui le collecteur ... savait que dormir enlève le temps ... au temps

" A-C " toussa trois fois afin de solliciter l’écoute et l´attention de Noos
Qui se redressa sur le côté ... avant de se reconnecter au débit d’" A-C "
Le lent débit des récitants ... qui s’épuisent à reprendre ... puis à répéter

« La vie est comme une légende
   Peu importe qu’elle soit longue
   L’essentiel est de la bien raconter » ...

               ... disait Sénèque ... en son époque ... déjà

Pendant ce temps ... " A-C " reprenait lentement
le récit ... de sa petite anecdote de M° au collège
Exactement! ... pile à l’endroit où nous en étions

A-Noos luttait pour suivre et noter encore
Mais le sommeil le cernait ... de toute part

°°°

Ainsi donc ... et pour en finir avec cette petite histoire
Il avait bien fallu avouer ... mais bien longtemps après
Que M° conserverait toujours trace de cette correction
Comme une plaie ... une béance ... le désarroi en creux

Telle la morsure d’un parasite ... tropical
Démangeaisons ... innommable malaise
Perte de repère et d’équilibre ... vertige
Trouble de l’entendement ... paralysie

Le printemps sans doute ... une lumière bleutée
Tons pastels ... pimpante ... solaire ... Elisabëll
Mais déjà le doute assombrissait le Ciel de M°
Et la restitution de cette copie ... tant attendue
Car quelque chose en lui ... l’avait attendue

Cette petite copie double ... de quatre pages
Cette nouvelle ... qu’il avait mise au monde
Et qui toute entière ... était venue l’occuper
Sans pause ... il y avait oeuvré jours et nuits
Magnétisé ... par les sirènes du mieux faire

Et cette copie qu’il ne savait être ... que de lui
Cette rédaction rédigée et conçue pour Elisabëll
Ce texte ... qui n’eu craint que Madame Schêmlhã
Il l’attendait ... comme le signe de tous les possibles

°°°

En effet ... ce devoir de rédaction n’avait rien d’anodin
À l’occasion de la rentrée ... mais non sans inspiration
Madame Schêmlhã ... leur avait confié le sujet suivant:

- " Narrer un moment émouvant
     Qui aura marqué vos vacances "

Bien sûr ... de retour de ses vacances sur-gonflées
M° s’était senti très vite concerné ... par le sujet

Surtout par le " vos vacances " ... de l’énoncé
Qui semblait rédigé ... tout à son attention!
Même si lui-même ... n’y portait pas cas

En effet ... ce " vos vacances "
Venait lui rappeler ... et souligner
Qu’à la fin de l’année scolaire passée
Ses vacances à lui ... s’étaient distinguées
En débutant un mois ... avant celles des autres
Ce qui impliquait un bon mois d’absence en cours

La torture du passage en classe de CE 2
La meilleure part du dernier trimestre
Les fiévreuses fêtes de fin d’année
Et même ... les remises des prix
Tout ... sacrifié ... d’un coup
Hérésie ... anti-pédagogie

Hérésie ... anti-pédagogie primaire ... folle erreur
Mais jamais Madame Schêmlhã n’en souffla mot
Jamais M° n’entendit quoique ce soit à ce propos
Comme si cela ne concernait en rien ... Elisabëll!


///////////////// PART TREE


En même temps ... mais d’un autre côté ... une vraie question
Qu’elle évènement pouvait bien expliquer ... pareille absence?
Et qu’elle affaire pouvait bien valoir ... plus d’un mois scolaire?
Elle avait tout de même dû apprendre quelque chose à ce propos!
Ou être mise au parfum par voie administrative ... ? elle ne dit rien

Et bien voilà ... il s’agissait pour M° ... de son premier grand voyage
Il s’agissait d’un tout premier voyage en famille et aux Z’Antilles ... !
Ils partaient tous les cinq ... pour trois mois de vacances à la Martinique

Cela mérite explication ... en effet ce n’est pas la porte à côté
Papeuh le père de M° ... était militaire dans l’armée de l’air
Il bénéficiait donc à ce titre ... des avantages et privilèges
Dûs à son statut de fonctionnaire de l’état né outre-mer

Ce statut assez particulier ... lui permettait cette année-là
D’emmener avec lui ... toute sa famille ... en Martinique
Opportunité qui ne se représenterait plus avant cinq ans

En effet ... ce retour au pays natal
Était généreusement pris en charge
Par les services de l’armée française

Et proposé une fois tous les cinq ans
Aux ressortissants des "DOM-TOM "
Qui avaient eu la chance de bénéficier
De très généreuses conditions ... d’exil
Offertes par le Bureau de l’Immigration
Des Territoires Français ... d’Outre-Mer!
Judicieusement rebaptisé " BUMIDOM "

" A - C " avait soudain mis en suspens son élan
Il pensait que le vocable avait vraiment joli goût
Comme ces intitulés poétiques ... ronds et colorés
Vivement estampés sur l’emballage des friandises

" BUMIDOM " ... agent de sapidité ... conservateur
Colorants ... arômes artificiels ... sucre ajouté ... sel
" BUMIDOM " ... une douceur ... arrivée d’ailleurs

Papeuh ... qui arrivait à Paris ... âgé d’une vingtaine d’années
Avait devancé l’appel ... afin d’échapper à quelques misères
Dont les enfants ... ne percevraient jamais le moindre écho
Sinon quelques babilles sur lesquels on ne reviendrait pas

Un silence aux allures de tabou ethnik ... une réserve originelle
Une absence d’histoire ... un manque de lignage ... des abîmes
Que M° avait tenté longtemps d’occuper avec moult scenarii
Faibles échafaudages ... plus scabreux les uns que les autres
Comme des icebergs nocturnes émergés de sa tête d’enfant
Les faux chapitres s’entrechoquaient ... et puis sombraient

Parmi les pages humides de ces " Contes et Légendes d’Outre-Atlantique "
Flottait celle de l’évasion du condamné à mort ... pour crime violent
Fuyant Fort-de-France ... comme on fuirait Alcatraz à la nage

Des projections fantasmatiques ... et stériles
Des visions vides ... toutes échevelées et borgnes
Que le petit esprit de M°... ne pouvait conduire à terme
Mais qui hésitaient ... et s’égaraient dans l’oeil mort du doute
Jusqu’à ce que salutaire sommeil s’en charge jusqu’au petit matin

" A - C " avait soudain baissé d’un ton ... imperceptiblement
Comme s’il n’était pas certain d’avoir à restituer ce passé
Pourtant ... déambulant ... M° le lui avait livré tel quel
Alors il poursuivit ... après avoir haussé le volume
Ce qui replaça aussitôt A-Noos ... dans son axe

Papeuh n’avait jamais eu l’occasion d’y retourner chez lui ... depuis son voyage " aller "
Aussi n’était-il pas peu fier de cette première ... trop heureux de retourner au pays
Porteur des fruits juteux ... et trébuchant ... de la politique du " BUMIDOM "
Promotion et statut sociale ... autonomie financière ... et dignité morale
Son parcours avait été exemplaire ... et la Caraïbe pouvait se tenir
Il pouvait alors ouvrir à ses enfants ... une fenêtre sur le réel

Peu importe ... la famille Bêtiol finit par quitter les barres grises de la cité Lëyon Bloom
Immense concentration de fonctionnaires de tous types ... extraits du ventre des colonies
Avec amertume enfin ... M° lâcha précocement sa maitresse ... et l’école Benouā Mâlhon
Au moment précis où la saison présentait ... l’une et l’autre ... sous leurs meilleurs atours

L’image immense ... du vaisseau blanc sur l’eau
L’énorme masse ... du paquebot " ANTILLES "
Et l’infini ... des nouveaux trésors à y découvrir
Imposèrent aussitôt un voile solide ... et opaque
Sur les frais souvenirs ... de Madame Schêmlhã

Une semaine de féérie sur flots
La transcendance du " BUMIDOM "
Transfiguré ... par un service des armées
Aux petits soins ... le petit doigt sur la couture
Les petits plats dans les grands avec soirée dansante
Cinema ou spectacle tous les soirs ... un pur rêve de gosse

La mer s’avançait en lourds clapotis ... très tôt ce matin-là
Laiteuse d’avoir été précipitée ... par les orages de la veille
Et parcourue par d’improbables nuances de verts conjugués
Elle s’entêtait ... contre le rivage encore assoupi du Vauclair

Une fois passé l’effet de surprise ... lié au changement de département
Une fois entériné le fait incontestable de côtoyer l’ailleurs et l’inconnu
M° avait rapidement profité du contexte décalé ... pour goûter la liberté

Tôt ce matin-là ... quand le sommeil tenait encore l’ensemble de la famille
Profondément endormi ... par les vapeurs du rhum ... et de la cuisine créole
La paix ... la liberté ... et la curiosité de M° ... l’entraînaient irrésistiblement
Vers le bord de mer ... où semblait s’agiter déjà l’activité du retour de pêche

Parvenu près d’un petit débarcadère en béton
Dégradé par les sempiternels assauts marins
Et qui finissait sa courte course ... en sifflet
Dans les eaux noires émeraudes de la baie
M° s’extasiait ... de la liberté d’être libre
Devant tant de vie et de trésors vivants

A l’arrière d’une pirogue ... aux motifs bleus
Parmi quelques récipients et autres accessoires
Comme un grand oiseau migrateur ... pris au filet
Une tortue verte bâtait des ailes ... en pompant l’air
Au milieu d’un foule de poissons vifs et multicolores

En arrêt devant la délicatesse qui alliait à l’idéal ... et motifs et couleurs
Émerveillé par ces forces vitales ... qui lui permettaient de nager hors-eaux
M° se sentait tellement privilégié ... d’assister clandestinement à ce spectacle
Qu’il papillonnait d’un coin à l’autre ... libre d’utiliser la palette de tous les sens
Qu’il n’avait jamais eu loisir d’expérimenter ... sous le gris de la cité Lëyon Bloom

Plus loin sur le sable noir ... et parmi les brisures éparses rapatriées par vagues
Des viscères de toutes sortes et de toutes couleurs ... emplissaient des calebasses
Qui semblaient directement descendues ... de l’une des escales de l’Arche de Noé
Et autour desquelles ... quelques chats malingres et matinaux se positionnaient déjà

Pareil aux oripeaux ... qui claquent dans la nuit des marins oubliés
Le gréement abandonné ... d’une longue pirogue éventrée par le côté
Tremblait sous l’alizé ... et le sel y était si doux qu’on eu dit des accras
Et l’épave ... exposée au ciel comme l’arrête blanchie d’un poisson mort
Abritait du soleil croissant ... une portée de chatons que leur mère allaitait

M° n’avait jamais connu un tel enchantement
Ni le cirque Bouglione ... ni la Foire du Trône
N’eussent pu lui fournir ... de telles sensations

La liberté de pouvoir les découvrir ... celle de les convoiter et d’en jouir sans réserve
Était à la fois le plus beau cadeau de cette échappée belle ... matinale et clandestine
Et la plus risquée des escapades ... quelque chose en M° ... lui imposait de rentrer
Avant que richesse et beautés du matin ... ne se transforment en citrouille amère
Il valait mieux rejoindre son poste ... avant que de passer pour absent à l’appel

De ce pas qui enfonce ... et qu’absorbe la finesse du sable volcanique
M° ... allègre et léger comme les ailes du colibri qui retourne vers son nid
Arrivait déjà à hauteur du petit quai de béton où le temps avait fait son office

Amarrée comme un animal domestique ... la pirogue aux motifs bleus était toujours là
Comme autour d’un petit combat de coq ... les matrones s’étaient disputé le poisson
Les bras en l’air et le verbe haut ... dans un cocktail de couleurs ... allumé de rires

Et sur le vieux débarcadère
Dans un bac de plastique blanchi
Nageaient dans un bouillon d’eau claire
Des morceaux ... blancs comme chair de coco
Ayant une bonne vingtaine de centimètres ... de côté
Et qui eussent pu passer pour de la morue qu’on dessalait

Mais à sept pas de là ... sur le fond nettoyé ... de la barque aux frises d’azur
La tête de la tortue qui voulait planer ... affichait le même blanc filandreux
Que les morceaux carrés qui baignaient ... devant le regard médusé de M°

La blancheur laiteuses de ce tableau marin avait privé M° ... de tout mot
Il reprit en silence le chemin du village ... et du petit déjeuner familial
Les bruits ne l’atteignaient pas ... il avait toujours la tête dans le bac

Sa petite excursion n’avait pas dû excéder une trentaine de minutes
Et la fureur même de Papeuh ... n’eusse pas pu esquinter la magie
Qui avait frappé de son sceau ... le ciel de son échappée solitaire

Personne ne semblait l’avoir vu déambuler sur le sable de la plage
Et personne ne semblait le calculer ... depuis son retour de pêche
Il ne parlerait jamais à quiconque de ce matin-là ... pas les mots

Mais la charge de l’émotion qui dans cet instant-là ... l’avait laissé sans voix
Serait celle-là même ... qui bientôt étaierai la tension de sa copie de rentrée
Par laquelle il répondrait à la question bateau ... de Madame E. Schêmlhã

- " Narrer un moment émouvant
     Qui aura marqué vos vacances "

" A - C " ne connaissait pas forcément les tenants et aboutissants de son récit
Mais il savait de longue date ... que ce qui lui avait été dit ... lui avait été dit
Albert Noos avait encore un oeil ouvert ... il reprit donc le fil de cet épisode

M° avait alors engagé tous les ressorts ... de sa jeune imagination
Pour les tendre ... au profit de cette histoire chipée en bord de mer
Et qui manifestement ... avait marqué ses pérégrinations antillaises

Quelques nuits blanches s’annonçaient peut-être ... mais M° aimait déjà le rêve éveillé
Il le sentait ... le sujet de son devoir tournait en cercles concentriques ... autour du pot
Il le savait ... dans ce pot-là mijotait une soupe à la tortue qu’il n’avait jamais goûtée

Un bouillon assorti d’une tortue verte ... qu’il avait vue ramer en soufflant à fond de cale
Avant que de finir sans queue ni tête ... en petits pavés de vingt sur vingt au fond d’un bac
Et dont il ignorait tout des techniques de pêche qui l’avait contrainte au néant ... ce matin-là

Les souvenirs demeuraient très prégnants ... sans aucun doute
Mais à distance ... les informations étaient plutôt lacunaires
Des couleurs ... des odeurs ... tout y était les yeux fermés
Mais rien pour charpenter la moindre réalité qui vaille

M° tenait son sujet ... une partie de pêche à la tortue verte
En barque à bras ... un aller retour dans la baie du Vauclain
Il ne connaissait rien de rien à tout cela mais il y pourvoirait
En profitant du blanc de ses nuits ... pour palier aux manques

Enfin ... un brin ballotté par les creux de la houle nocturne
Le regard du traqueur scrutant sous les draps ... les hauts fonds
Et seul maître à bord ... M° finit par parier que madame Schêmlhã
Toute solaire qu’elle fût ... n’avait sûrement jamais visité les Antilles



ÉPILOGUE


...

Le temps n’avait rien à abdiquer ... le souffle hésitait à suivre
Sans erreur aucune ... Madame Schêmlhã venait d’attribuer
La totalité ... de sa pile de copies corrigées ... une par une
Un élève ... ! une copie ... ! une élève ... ! une copie ... !

La totalité des copies ... sauf une ... ! celle de M° ... qui tremblait déjà
Celle que lui tendait Madame Schêmlhã ... une ombre sur le sourire
Une proximité un peu plus distante ... une posture presque inédite
Un air de ne pas y être et l’air d’y respirer mais comme à regret

M° ... transi d’émois ... assis présentement en tête de gondole... le coeur battu par les embruns
Reçu enfin sa copie ... de la main d’une Elisabëll mutique et plutôt lointaine pour l’occasion

En haut à gauche ... la marge était frappée d’un grand " A+ "
Et dans le cadre de droite ... réservé aux commentaires
On pouvait lire la mention ... " De qui est-ce ... ?! "

Sur le coup ... M° resterai médusé ... comme enterré vivant sur la grève du Vauclain
Muet ... sans même pouvoir imaginer répondre quoi que ce soit ... à qui que ce soit
Il vivait soudain ... l’expérience d’un résidu d’avortement abandonné sur la plage
Cela avait tout l’air d’être mort mais respirait encore ... du sable dans la bouche

Madame Schêmlhã ne lui réitéra jamais sa question
Ni par écrit ni à voix haute ... ni en public ni entre soi
M° la soupçonnait de ne pas vraiment attendre réponse

Et même s’il ne savait pas qui d’autre que lui eut pu rédiger son texte
L’imposture ... elle ... avait alors définitivement pris figure d’imposture
Et de ces gracieuses vacances anticipées ... dont Elisabëll n’avait dit mot
M° avait sans doute fini ... par payer le prix fort ... l’anonymat de son être

Pour finir ... Elisabëll se métamorphosa en madame Schêmlhã
Puis la copie mirage fini par se perdre dans les déménagements
Ne laissant à son auteur ... sans nom ... qu’une trop vive émotion
Disparue sans le clapotis ... avortée ne n’avoir pas pu être partagée

Hormis quelques rares tentatives stériles ... M° n’écrirai plus jamais pendant cinquante ans
Et par la suite ... toute sa scolarité s’en trouverait gâtée ... comme indéfiniment noyée
Détaillée par morceaux de vingt sur vingt ... au fond d’un bouillon d’eau salée

°°°

Sans transition ... " A - C " passait déjà ... lentement mais sûrement ... au chapitre suivant
Mais c’est bien à compter de ce jour précis ... et faisant suite à ce récit encore iodé
Qu’Albert Noos n’écrirait plus jamais une page ... sans dessiner des vagues

Il voulait bien remplir des liasses de rapport ... mais ne supportait pas l’idée


De s’entendre dire ... " Bravo Albert ... c’est bon! ... mais de qui est-ce ... ? "


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